Antoine d'Abbadie (1810-1897)
Arnauld-Michel d'Abbadie était issu d'une dynastie d'abbés laïcs de Soule, la province basque la plus occidentale, et plus particulièrement du village d'Arrast, près de Mauléon. Son père, Jean-Pierre d'Abbadie, notaire royal de cette bourgade, l'incita à s'exiler au début de la Révolution française. Ainsi Arnauld-Michel fuit-il vers l'Andalousie, puis, après l'ultimatum adressé par le roi Charles IV aux Français, vers la Grande-Bretagne.
Avec la Restauration de l'Ancien régime, Arnauld-Michel eut la voie libre pour s'en retourner dans ses terres d'origine, accompagné de son épouse et de sa progéniture. La famille s'établit en 1818 à Toulouse, où naquirent ses deux benjamins Julienne (1820) et Charles (1821), et à Paris en 1829. Antoine d'Abbadie fréquentait le collège royal de Toulouse où il obtint avec briot son baccalauréat de philosophie. Mais c'était déjà les sciences exactes et les grandes découvertes géographiques qui le fascinaient. Une fois installé à Paris, il consacra les six années suivantes à la préparation savante, matérielle, physique et morale de l'expédition dont il rêvait depuis qu'il avait lu les journaux de voyage de l'Ecossais James Bruce, découvreur des sources du Nil bleu en 1790. Ce passage vers l'âge adulte fut marqué par le décès d'Arnauld-Michel, qui succomba de la tuberculose en 1832. Cela offrit à d'Abbadie un nouveau statut et de nouvelles responsabilités, celles d'un chef de famille chargé de gérer le patrimoine des siens et d'en distribuer les revenus. C'est durant cette période qu'il fit l'acquisition du château d'Audaux, près de Navarrenx dans le Béarn, et de la parcelle de Bordaberri, sur le littoral d'Urrugne, afin de se rapprocher, selon le rêve de son père, de ses terres basques.
Commençant déjà à fréquenter les cercles savants, d'Abbadie fut dans un premier temps missionné à Olinda, au Brésil, par François Arago, en 1836, afin d'effectuer des relevés de magnétisme terrestre dans l'hémisphère sud. A bord de l'Andromède, il fit la connaissance de Louis-Napoléon Bonaparte, que Louis-Philippe condamnait à un exil à bord de la frégate sur l'Océan atlantique suite à son coup d'état manqué de Strasbourg. D'Abbadie, choqué des conditions matérielles dans lesquelles était précipité ce "gentilhomme", lui apporta immédiatement son soutien et son amitié, lui prédisant, au détour d'une discussion, l'avenir illustre qui attendait le futur empereur.
Après son retour du Brésil, d'Abbadie rejoignit, à la fin de l'année 1837, son frère Arnauld au Caire afin d'entreprendre leur route pour l'Ethiopie. En Egypte, ils rencontrèrent le père lazariste Sapeto qui partageait leur objectif de convertir l'Ethiopie, pourtant chrétienne, au catholicisme. Ayant suivi une partie du cours du Nil, puis traversé la mer Rouge, ils débarquèrent sur la presqu'île de Massaouah début 1839. Pour des raisons de diplomatie locale, plusieurs mois furent nécessaires pour traverser la province du Tigré et atteindre, dans le Bagemdir, la capitale intellectuelle et politicoreligieuse Gondar.
Quelques semaines seulement suffirent à d'Abbadie pour se rendre compte de l'inadéquation de son équipement scientifique dans un tel contexte d'expéditions et de travaux géographiques. Décision fut donc prise pour lui de retourner en Europe, où il séjourna une grande partie de l'année 1839. Il fit d'abord escale à Rome, accompagné de trois éthiopiens chrétiens, venant solliciter, à son initiative et auprès du pape Grégoire XVI, l'instauration d'une mission catholique en Pays d'Abyssinie. Puis il séjourna à Paris et à Londres, portant notamment une lettre de l'Empereur d'Ethiopie à la reine Victoria, avant de rejoindre son frère à Adoua au début de l'année 1840. S'ensuivirent de nombreuses années d'expéditions et d'études ethnographiques et géographiques, qui menèrent les deux frères à la source du fleuve Omo, dont ils étaient convaincus qu'elle était celle du Nil. Ils plantèrent solennellement le drapeau français le 17 janvier 1846. Considérant sa mission accomplie, d'Abbadie entreprit son retour en Europe, qui, sur fond de conflits militaires et difficultés de route, s'échelonna sur deux années.
Son retour en Europe fut consacré au compte-rendu de ses expéditions auprès des sociétés savantes et à la publication de ses travaux géodésiques. Son frère et lui-même reçurent la Légion d'Honneur et la Grande médaille d'Or de la Société de géographie en 1850. Les honneurs se poursuivirent encore avec l'élection de d'Abbadie à la fonction de membre correspondant de l'Académie des sciences en 1852, et à celle de titulaire en 1867. Parallèlement il commença à se consacrer à la promotion de la culture basque, à la construction de sa demeure et de son observatoire sur la corniche basque tout en entamant la difficile quête d'une épouse.
Il institua d'abord ses fameux concours de pelote et de poésie basques, dont la première édition eut lieu à Urrugne en 1851 et qui perdurèrent une trentaine d'années après son décès. Il rencontra ensuite l'architecte Clément Parent, avec lequel il réfléchit deux ans aux plans et aux élévations de sa demeure, qu'il souhaitait d'inspiration gothique. Puis en octobre 1858, il fit la connaissance, par l'intermédiaire de son ami intime Amédée de Laborde-Noguez, de Virginie Vincent de Saint-Bonnet qu'il épousa quatre mois plus tard, en février 1859, à Lyon. Dès lors, le projet de construction fut mené de front par les deux époux, en même temps que la vie de d'Abbadie continua à être régie par ses intenses activités scientifiques et culturelles au niveau local, national et international. Le couple partageait, à l'instar de leurs contemporains aisés, leur résidence entre Paris, lieu de vie mondaine, et la corniche basque, lieu de retraite romantique et scientifique.
Le projet de construction fit l'objet de difficultés imprévues, notamment le manque d'adéquation des propositions de l'architecte avec ses désirs, qui entraînèrent dans un premier temps le licenciement de Clément Parent en 1861, puis la démission de son successeur, Auguste-Joseph Magne en 1864. Le couple rencontra dans l'urgence Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc probablement par le biais d'un ami, au début de l'année 1864. L'architecte expérimenté et renommé prit en main le chantier au pied levé avec une efficacité inespérée. Il composa ou recomposa les plans et les élévations du château d'Abbadia et en confia le suivi d'exécution à son "aide de camp", l'architecte amiénois Edmond Duthoit, auquel fut délégué ultérieurement la décoration et le mobilier. Viollet-le-Duc dirigea le chantier jusqu'aux évènements de 1870 et 1871, et passa complètement la main à Duthoit, qui oeuvra à Abbadia jusqu'en 1884.
Les relations familiales de d'Abbadie commencèrent à se dégrader autour de 1860, avec, d'abord, le mariage de Charles avec une protestante, puis celui d'Arnauld en 1864 avec une jeune femme n'ayant pu recueillir le consentement de ses parents. La mère de d'Abbadie décéda à la veille de Noël 1865, triste évènement qui entraîna, notamment pour des questions d'héritage, une profonde rupture entre d'Abbadie, ses frères et ses beaux-frères, en dépit de laquelle il conserva toujours d'excellentes relations avec ses trois soeurs.
A Paris, d'Abbadie assurait son rôle d'érudit chercheur au sein de la communauté scientifique. Il était membre de nombreuses sociétés savantes, telles que le Bureau des Longitudes, la Société de géographie, la Société d'Anthropologie ou encore la Société de Philologie dont il était l'un des fondateurs. Ses activités nécessitaient aussi de nombreux déplacements à l'étranger, par exemple la Norvège (1851), l'Allemagne (1859), l'Algérie (1867). En 1881, il se rendit à Haïti et aux Antilles, accompagné de son épouse comme toujours, afin d'observer le passage de Vénus devant le Soleil. Et, entre 1884 et 1885, les deux époux, respectivement âgés de 74 et 56 ans, effectuèrent un voyage d'étude et d'agrément en Orient, parcourant une partie de l'Egypte, la mer Rouge, l'Ethiopie et la Turquie.
Les années avaient fini par gagner le jeune homme déterminé et réfléchi qui visita l'Ethiopie. Le temps était venu de la reconnaissance et des hommages. Entre autres récompenses officielles, il fut élu à la fonction de président de l'Académie des sciences en 1892. A partir de cette période, il commença à réfléchir au devenir de son considérable patrimoine. Souhaitant la poursuite de ses travaux scientifiques, il prit le parti d'une donation à l'Académie des sciences, dont son épouse devait cependant conserver l'usufruit jusqu'à son propre décès. L'acte de donation fut validé par le Conseil d'état en 1896, après deux essais et des rectifications, puis voté quelques mois plus tard par les membres de l'Académie des sciences. Pour lui exprimer sa gratitude pour ce généreux geste, l'institution "immortelle" lui remit la plus prestigieuse de ses récompenses, la Médaille Arago, et ce, en mains propres directement au château d'Abbadia.
Antoine d'Abbadie s'éteignit deux jours après avoir assisté à sa dernière séance de l'Académie des sciences, le 19 mars 1897, souffrant des maux de la vieillesse mais pouvant toujours se targuer de son dynanisme et de sa vivacité d'esprit. Sa dépouille fut immédiatement transférée en ses terres d'Hendaye. Il fut inhumé trois jours plus tard dans la crypte de sa chapelle, et, conformément à sa volonté, sans honneurs. C'est pourquoi les obsèques ne réunirent que ses métayers et quelques proches - la plupart étant ou décédés ou trop éloignés pour faire le voyage -. Sur sa tombe d'une étonnante sobriété par comparaison au décor du château, ont été gravées ses devises: Plus estre que paraistre (plus être que paraître), In labore felicitas (dans le travail le bonheur), ma foy et mon droict (ma foi et mon droit). A ses côtés devant l'Eternel, l'accompagne le makila d'honneur offert par ses compatriotes basques en 1892, et repose son épouse qui le rejoignit quatre ans plus tard.
Bibliographie
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