L'Orientalisme dans l'art et l'architecture du XIXe siècle
Avant la Révolution, il reste cependant réservé à une élite érudite souhaitant étudier les textes chrétiens d'Orient. Sa propagation s'intensifie tout au long du XIXe siècle, témoignant du développement des moyens de transport et de l'accessibilité facilitée des territoires lointains. C'est ainsi que, après avoir touché avec une force certaine la peinture, le mouvement orientaliste gagne les décors et l'architecture, qui, usant initialement de simples citations ornementales, aboutissent à la reproduction savante des techniques et du style en termes de construction et de structure.
Les romantiques du début de siècle commencèrent à s'intéresser à l'Orient comme la source originelle de la civilisation occidentale, posture largement engendrée par le pèlerinage que Chateaubriand conte dans son De Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris. De même, l'expédition d'Egypte contribua fondamentalement à cette renaissance orientale en train de poindre en Europe, entraînant par exemple dans son sillage l'étude architecturale menée par Pascal Coste au Caire à la fin des années 1830 ou bien celle d'Emile Prisse d'Avennes, publiée plusieurs décennies après sa contribution au développement de l'égyptomanie. Ainsi, dès les premières décennies du siècle, l'orientalisme s'immisce dans la peinture d'histoire, permettant d'évoquer de grands thèmes historiques, scripturaires ou mythologiques, comme le fit de manière pionnère Antoine-Jean Gros avec Le combat de Nazareth (1801) et, une quarantaine d'années plus tard, Horace Vernet dépeignant La prise de la smala d'Abd El Khader (1845). Les premiers artistes européens parcourant l'Orient à cette époque étaient missionnés auprès d'ambassades officielles afin de réaliser des portraits de la population et des contrées visitées. Ce fut le cas d'Eugène Delacroix, qui, dès les années 1830, fut mandaté vers le Maroc et l'Algérie.
Fasciné par ce qu'ils ont vu, ces peintres voyageurs consignent leurs observations dans des carnets de croquis, composent des collections d'objets, qui, une fois de retour à leur atelier, leur permettront de se mettre à l'oeuvre suivant une démarche esthétiquement fidèle à la réalité. Pourtant leur interprétation de la vie orientale est souvent "aménagée" à la convenance des attentes du public occidental, en dépit de l'exactitude formelle des représentations. C'est un Orient rêvé et fantasmé qui transparaît dans leurs oeuvres, louant une société fondée sur l'oisiveté et le prélassement, la féerie et la sensualité féminine, les traditions chevaleresques guerrières. Les tableaux de Chassériau démontrent assez cette sublimation de la femme, de même que ceux de Jean-Léon Gérôme peuvent diffuser une image idéalisée d'une société, de fait, bien précaire. Eugène Fromentin, cependant, s'évertue à prendre le contrepied de cette vision trop pittoresque de l'Orient afin de redonner sa noblesse à sa population au sein de l'iconographie occidentale.
Au tournant du siècle, cependant, la démarche des artistes voyageurs évolue vers une iconographie plus rationnelle, à l'heure où le mouvement réaliste prend parallèlement son envol sur l'impulsion de Gustave Courbet et de Jean-François Millet. Cette recherche de vérité savante, fréquemment illustrée par de prolifiques croquis préparatoires, donne naissance au mouvement que Ch. Peltre a nommé "le réalisme ethnographique", où prévaut la scène de genre. Impliquant toujours un regard porté sur l'altérité, l'artiste s'efforce alors de dépeindre des moments clés de la vie orientale, étudiée telle un objet scientifique à travers ses coutumes, ses procédés d'instruction, ses croyances, son environnement, son système politique et juridique.
En architecture, bien que les édifices orientaux aient fait l'objet d'études depuis plusieurs siècles, ce sont véritablement les Expositions universelles, dans la seconde moitié du siècle, qui marquent le fondement de l'orientalisme. A partir de celle de 1867, surtout, une multitude de pavillons orientaux, comme celui pour l'Empire Ottoman édifié par Parvillée, fleurissent dans les allées de ces grandes exibitions. La connaissance sur le sujet s'enrichit au fur et à mesure, donnant lieu à la publication de recueils d'ornements extrêmement précis et embrassant l'ensemble du monde oriental.
Alors que, dans le domaine des arts industriels, la France se sent plongée dans une phase de stérilité de la création vers les années 1850, nombreux architectes et artistes cherchent en outre à élucider les procédés géniaux de l'art arabe par leurs productions, comme Théodore Deck et Léon Parvillée pour la céramique, Philippe-Joseph Brocard pour l'émail sur verre, ou dans des ouvrages savants illustrés, tels que ceux de Parvillée, également théoricien à ses heures, et de Jules Bourgoin, tous deux préfacés par Viollet-le-Duc. Mais l'expression orientaliste dans la création architecturale relève, en revanche, très souvent d'un modèle de référence inamovible et indétrônable, le palais de l'Alhambra de Grenade, en raison de sa magnificience et du génie qu'il respire.
Progressivement, l'orientalisme devient une mode élitiste dans les années 1860, avant de se répandre plus profusément encore dans les années 1870, notamment dans le domaine de la décoration et du mobilier. De par son image de fantasme, inspiré des Mille et une nuits, il est très vite associé, sous le Second Empire, à une architecture de loisirs, facilitée par la pratique hygiéniste renouvelée des bains de mer, en particulier dans les stations de villégiature climatiques, thermales et littorales. Se prolongeant durant la Troisième république, ce style, reproduisant parfaitement les monuments islamiques, y semble le plus adéquat pour les édifices de bains et autres casinos, mais aussi pour les habitations privées constituant un lieu d'évasion par contraste avec le quotidien urbain. Nombre de stations balnéaires de la côte atlantique et des montagnes françaises, de Trouville à Hendaye, des Eaux-Bonnes à Aix-les-Bains, possèdent ainsi leur casino mauresque, leurs thermes orientaux, leurs villas extravagantes.
Enfin un développement similaire s'observe en termes de collections savantes et décoratives. En définitive, dans les années 1870, les érudits et les voyageurs orientalistes possèdent des ensembles d'objets fondés sur une typologie souvent identique, évoquant les traditions chevaleresques, le plaisir et un artisanat spécifique de génie. Certains passionnés, comme Ambroise Baudry ou Alphonse Delort de Gléon au Caire, vont jusqu'à s'installer directement en Orient afin d'amasser des objets toujours plus précieux. Initialement impliqués dans la connaissance d'un style ou d'un peuple en particulier, ces collectionneurs finiront cependant par s'intéresser à l'ensemble des contrées orientales, parfois aussi loin que s'étend le continent asiatique.
Bibliographie
- BRUANT C., LEPRUN S., VOLAIT M. (dir.), Figures de l’orientalisme en architecture, Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée n°73-74, Edisud, 1994.
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- OULEBSIR N. et VOLAIT M. (dir.), L’orientalisme architectural. Entre imaginaires et savoirs, coll. D’une rive à l’autre, Picard/CNRS In Visu, Paris, 2009.
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- PELTRE Ch., Les Arts de l’Islam, Itinéraire d’une redécouverte, coll. Découvertes Gallimard Arts, Gallimard, Paris, 2006.
- PELTRE Ch., Orientalisme, Editions Terrail/Edigroup, Paris, 2004.
- TOULIER B., « Un parfum d’Orient au cœur des villes d’eau », in In Situ Revue de l’Inventaire Général, n°7, février 2006, réf. du 3 mars 2011. URL : http://insitu.revues.org/3069
Autres sources
- LE THIEC G., «L’entrée des Grands Turcs dans le “Museo” de Paolo Giovio», Mélanges Ecole française de Rome - Italie et Méditerranée, n° 104- 2, 1992, p. 781-830.
- LE THIEC Guy, «La Renaissance et l’orientalisme “turquesque”, in ARKOUN M. (dir.), Histoire de l’islam et des musulmans en France du Moyen Âge à nos jours, Albin Michel, Paris, 2006, p. 408-433.
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