Eugène Bühler, créateur de parcs et jardins
Plan du parc du manoir de Kéransquer, par E. Bühler, 1852 - Crédit : Bègne, Bernard - © Inventaire général, ADAGP
Sa pratique d'architecte-paysagiste s'inscrivait dans les pas des "jardiniers du roi", grâce à sa démarche globale associant le paysage naturel et le bâti, autant qu'elle relève des évolutions de son métier, de plus en plus contingenté par de nouveaux codes en termes de perception de l'art paysager. S'il peut être, avec son frère, considéré comme l'un des derniers chantres du jardin irrégulier, il incarne également un certain renouveau, au même titre que ses illustres confrères Barillet-Deschamps et, plus tard, Edouard André, initiateur du jardin mixte.
La réputation des frères Bühler commença à émerger dans le milieu des grands propriétaires terriens au début des années 1850. Leurs commandes publiques, quant à elles, se manifestèrent surtout à partir de 1858, avec la place de la Canourgue à Montpellier, et surtout, en 1859, avec le jardin Botanique de Bayeux. A l'attention des maîtres d'ouvrage publics, Bühler réalisa de considérables et prestigieux projets, tels que le jardin du Thabor à Rennes ou le parc de la Tête d'Or à Lyon, qui témoignent des nouvelles préoccupations hygiénistes, urbanistiques et mondaines du Second Empire. Procédant d'une logique d'aménagement de la ville, le contact avec le grand air était alors perçu comme un bienfait sanitaire autant que comme une source de rencontres et de paraître. Ces grands parcs urbains, à l'instar des oeuvres de Alphand et Barillet-Deschamps, se plaisaient à imiter ou créer une nature pittoresque et romantique souvent factice, se faisant la dernière évolution du jardin anglais.
Fondamentale dans l'oeuvre de Bühler, l'association des essences endémiques et exogènes offrait, en outre, aux élégants oisifs l'accès à une connaissance botanique nouvelle, souvent valorisée par l'agencement même des plants, notamment par le principe de l'arbre "isolé". Enfin, en digne héritier des jardiniers royaux, il savait concevoir des projets architecturaux divers, allant du chalet suisse en vogue jusqu'aux serres et aux abris zoologiques ou bien aux maisons de maître comme celle qu'il édifia pour son propre compte rue de Grenelle à Paris.
Quant aux projets privés de Bühler, s''ils obéissent logiquement aux mêmes principes esthétiques et moraux, nombre d'entre eux possèdent la particularité de mêler les fonctions ornementales et utilitaires, particulièrement répandue chez les grands propriétaires terriens. Aussi, à l'instar du comte de Choulot, figure emblématique de ce type d'aménagement, il réalisa une multitude de parcs paysagers agricoles, relevant souvent d'une clientèle légitimiste traditionnellement attachée à la notion de propriété et de terres. Bien que lui soit connue une centaine de chantiers de ce genre, tels que le parc d'Abbadia ou bien ceux des châteaux de Combourg, résidence d'enfance de Châteaubriand, et de Bonnétable dans la Sarthe, il est certain que ses interventions réelles, occultées par le caractère éphémère de l'art paysager, dépassent de loin ce chiffre. D'une grande piété protestante, les frères Bühler léguèrent à l'Eglise luthérienne de Paris leur patrimoine immobilier de la rue de Grenelle, composé d'une villa et du pavillon du gardien, ainsi qu'une somme destinée à édifier un temple sur cette propriété de 4.500 m².
Bibliographie
- CHOULOT P. (de Lavenne, comte de), L’art des jardins, s.n., Paris, 1846.
- DELPECH V., Le château d'Abbadia à Hendaye: le monument idéal d'Antoine d'Abbadie, 3 volumes, thèse de doctorat d'Histoire de l'art, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2012.
- DELPECH V., Le château d'Abbadia, enjeux culturels et touristiques de la restauration du parc, mémoire de Master 1 professionnel Ingénierie touristique, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2006.
- MANGIN A., Histoire des jardins anciens et modernes, Mame, Tours, 1888.
- MOSSER M., "Bühler Denis (1811-1890) & Eugène (1822-1907)", in Encyclopaedia Universalis [En ligne], réf. du 20 mai 2014. URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/buhler-denis-et-eugene/
- MOSSER M., TEYSSOT G. (dir.), Histoire des jardins de la Renaissance à nos jours, Flammarion, Paris, 1991.
- NOURRY L.-M., Les jardins publics en province, espace et politique au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 1997.
- VAN ZUYLEN G., Tous les jardins du monde, coll. Découvertes Gallimard, Gallimard, Paris, 1994.