Antoine d'Abbadie commença à s'implanter sur la corniche basque en 1834 lorsqu'il se porta acquéreur de la parcelle de Bordaberri. Après une parenthèse de douze ans due à son séjour en Ethiopie, il entama une campagne d'acquisition sur cette côte escarpée satisfaisant à son imaginaire romantique et appartenant alors à la commune d'Urrugne. Ainsi, tout au long de sa vie, acheta-t-il annuellement des parcelles supplémentaires, démarrant avec une dizaine d'hectares à Bordaberri pour atteindre, en 1893, un territoire de 415 hectares. Dès 1852, c'est à l'architecte-paysagiste Eugène Bühler qu'il confia l'aménagement de sa propriété en perpétuelle évolution. Abbadia est un exemple très représentatif, mais aussi presque banal, des réalisations de Bühler, privées comme publiques. On y retrouve fidèlement les principes de son oeuvre fondés sur l'agencement de massifs arborés, de prairies et de sentiers sinueux de promenade. Mais surtout, le parc de d'Abbadie traduit la facilité du paysagiste à s'adapter à l'environnement et aux contraintes naturelles, particulièrement aux reliefs et à l'océan de ce piémont pyrénéen. Au coeur de ce projet, il imagina un point de mire central, le château d'Abbadia, dont il définit l'emplacement sur le point culminant des terres de d'Abbadie. Grâce aux bois aménagés et aux prairies, cela permit de sublimer les éléments naturels que sont la montagne de la Rhune, le cap océanique du Figuier ou encore la pointe Sainte-Anne en des vues pittoresques dignes des compositions paysagères anglaises.
Les massifs boisés, constitués de taillis de chênes, charmes et bouleaux, ou bien de pins, furent implantés sur la base de taillis existants. De même, Bühler s'appuya sur le réseau de voies d'exploitation ancestrales de cette côte à vocation initialement agricole afin de créer les chemins de promenade jalonnant le parc par un système de courbes et de contre-courbes. Les bois s'articulent, en outre, avec un important espace découvert constitué de landes et de prairies, mais aussi de terres agricoles. Car le parc d'Abbadia n'est pas seulement un jardin anglais cherchant à imiter la nature et à créer des images pittoresques. Il revêt fondamentalement une fonction agropastorale, mêlant la culture de la terre et l'élevage. Associé à l'aménagement plus élaboré des abords de la demeure, cet agencement d'espaces ornementaux et utilitaires produit un paysage fréquemment commandé par les élites légitimistes du XIXe siècle et qui se nomme le parc paysager agricole.
Mais, en plus de relever d'un idéal conservateur, ce type de parc se rapporte également aux préocupations hygiénistes et ludiques du Second Empire, où l'on aime le contact du grand air pour des raisons quasiment thérapeutiques aussi bien que mondaines. L'ouverture sur le monde permise par le progrès des transports et de l'industrie se lit, en outre, dans la diversité vertigineuse des essences composant le parc d'Abbadia. Environ 500 espèces, principalement d'arbres et d'arbustes, mais aussi de plantes potagères et d'essences fruitières, en constituent l'arboretum. Les espèces utilisées pour les massifs boisés sont essentiellement européennes et endémiques, mais de nombreuses essences exotiques à vocation ornementale furent cependant mises en valeur aux abords de l'édifice et de la ferme Aragorri, faisant office de communs. Enfin, la masse des plantes potagères et fruitières témoignent des nécessités alimentaires de l'époque autant que d'une dimension économique, au même titre que la culture des céréales ou l'élevage.
Le parc d'Abbadia bénéficie d'une ultime et singulière fonction parce qu'il était la propriété d'un savant touche-à-tout aux intérêts éclectiques. Si son ouverture au monde est impliquée par l'exotisme de ses compositions végétales, son sacerdoce scientifique s'investit, outre dans sa demeure et son observatoire, au sein de sa propriété et de son "jardin". Cela explique la présence de nombreuses traces de son activité savante partout sur son domaine, depuis les piliers astronomiques jusqu'à la mire servant à l'orientation de la lunette méridienne en passant par les originaux vestiges de sa première nadirane situés au fond d'un souterrain d'une cinquantaine de mètres dans la colline du château.
Epilogue : Dès lors où il s'engagea auprès de d'Abbadie au début des années 1850, Bühler passa fidèlement une fois par an à Abbadia pour faire le point et donner ses instructions, prenant toujours en compte l'évolution et l'agrandissement incessant de cette propriété. Les deux hommes se lièrent d'amitié et de respect mutuel dès les premières années de leur collaboration. Les ultimes lettres et interventions du paysagiste datent de 1896, quelques mois seulement avant le décès de d'Abbadie...
Bibliographie
DELPECH V., Le château d'Abbadia à Hendaye: le monument idéal d'Antoine d'Abbadie, 3 volumes, thèse de doctorat d'Histoire de l'art, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2012.
DELPECH V., Le château d'Abbadia, enjeux culturels et touristiques de la restauration du parc, mémoire de Master 1 professionnel Ingénierie touristique, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2006.
Pour citer cette notice : Viviane Delpech, "L'aménagement du parc d'Abbadia (1852-1896)", in Ville d'Hendaye/DRAC Aquitaine, Archives d'Abbadia. Patrimoine du XIXe siècle [En ligne], mis en ligne 07/08/2014, consulté le 02/04/2025. URL : http://www.archives-abbadia.fr/notice_thematique_38.htm