Le jardin irrégulier, de la Grande-Bretagne à la France

Parc de Blenheim, par Lancelot "Capability" Brown. Planche de l'<em>Histoire des jardins anciens et modernes</em> par Arthur Mangin - Crédit : INHA

Ces nouvelles dispositions furent normalisées par William Kent, qui avait initialement étudié la peinture et réfléchit, dès son voyage en Italie, à la notion de théâtralité, et donc de symbolisme, dans l'aménagement paysager. Fortement inspiré de Poussin et Le Lorrain, il est à l'origine du concept consistant à créer un paysage de peinture, d'où provient la dénomination de jardin "pittoresque". Par le jeu irrégulier des plantations et l'insertion d'élements artificiels, y compris bâtis, le paysagiste aménage des points de vue et des cadrages de tableau. A cela, Lancelot "Capability" Brown ajoute quelques années plus tard la notion du genius locii (génie du lieu), esprit naturel et symbolique du site, qui traduit son potentiel à se convertir en jardin paysager. Il s'agit dès lors de proposer une continuité entre l'immédiat et le lointain, entre la nature et l'artifice.

Le jardin anglais se développe fortement en France sous la Restauration, moment du retour des émigrés de la Révolution. Les bases de son adaptation française ont été jetées par Gabriel Thouin, qui en proposa une codification nouvelle en y additionnant les pelouses circulaires, des massifs et des parterres, générateurs de l'art de la mosaïculture. Avec l'avènement de la société de loisir, des règles urbanistiques et des préoccupations hygiénistes, naît le jardin public, et surtout le parc urbain, visant à concilier promenade, détente et mondanités. Il doit son essor à la préfecture du célèbre baron Haussmann qui l'intègre dans ses plans d'urbanisme en l'articulant avec une logique de voieries. En 1852, Haussmann charge ainsi les architectes-paysagistes Alphand et Barillet-Deschamps de l'aménagement du bois de Boulogne, du bois de Vincennes, du parc Monceau, du parc des Buttes-Chaumont, entre autres réalisations prestigieuses et confortables.

Sans surprise, les pratiques officielles influent sur l'art paysager du domaine privé, qui toutefois sait également se conformer aux codes académiques et autres héritages patrimoniaux. Car le XIXe siècle, qui recherche parfois violemment son identité artistique dans tous les domaines de l'art, se caractérise par son éclectisme et la grande diversité de ses références anciennes afin de générer son style propre. Si les partisans du classicisme optent pour le jardin à la française, le style anglais trouve particulièrement bien sa place dans les grandes propriétés terriennes où, associé à la fonction agropastorale, il produit le parc paysager agricole.

Dans un contexte de déplacement à travers le monde et de progrès industriel, l'art paysager du XIXe siècle se caractérise chaque jour davantage par son éclectisme. Si bien que, à force d'intégration d'essences exogènes, de nouvelles recherches esthétiques, on arrive à la création d'un style hybride, associant le jardin anglais et le jardin français, nommé jardin mixte, qui sera théorisé par l'éminent paysagiste Edouard André au début du XXe siècle.
Bibliographie
- CHOULOT P. (de Lavenne, comte de), L’art des jardins, s.n., Paris, 1846.
- MANGIN A., Histoire des jardins anciens et modernes, Mame, Tours, 1888.
- MOSSER M., TEYSSOT G. (dir.), Histoire des jardins de la Renaissance à nos jours, Flammarion, Paris, 1991.
- NOURRY L.-M., Les jardins publics en province, espace et politique au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 1997.
- VAN ZUYLEN G., Tous les jardins du monde, coll. Découvertes Gallimard, Gallimard, Paris, 1994.
Autres sources
- ALPHAND A., Les promenades de Paris, Rotschild Ed., Paris, 1867-1873.