Le jardin irrégulier, de la Grande-Bretagne à la France
Parc de Blenheim, par Lancelot "Capability" Brown. Planche de l'<em>Histoire des jardins anciens et modernes</em> par Arthur Mangin - Crédit : INHA
Ces nouvelles dispositions furent normalisées par William Kent, qui avait initialement étudié la peinture et réfléchit, dès son voyage en Italie, à la notion de théâtralité, et donc de symbolisme, dans l'aménagement paysager. Fortement inspiré de Poussin et Le Lorrain, il est à l'origine du concept consistant à créer un paysage de peinture, d'où provient la dénomination de jardin "pittoresque". Par le jeu irrégulier des plantations et l'insertion d'élements artificiels, y compris bâtis, le paysagiste aménage des points de vue et des cadrages de tableau. A cela, Lancelot "Capability" Brown ajoute quelques années plus tard la notion du genius locii (génie du lieu), esprit naturel et symbolique du site, qui traduit son potentiel à se convertir en jardin paysager. Il s'agit dès lors de proposer une continuité entre l'immédiat et le lointain, entre la nature et l'artifice.
Au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, Humphry Repton renforce la notion de globalité du site, avec l'intégration de fabriques de tous styles, de ponts et de constructions vernaculaires, offrant l'illusion que tout est oeuvre de la nature ou d'une tradition ancestrale. Dans cette lignée, William Shenstone consacre, à The Leasowes par exemple, le jardin pittoresque, qui implique une beauté subjugante et une idée fantasmée de folklore. Aussi, en pleine apogée du romantisme britannique, le jardin anglais se caractérise-t-il fondamentalement par les notions du Beau, du Sublime et de la Méditation. Il est exporté sur le continent dès la fin du XVIIIe siècle par le marquis de Girardin en sa propriété d'Ermenonville, où il aménagea un parc inspiré de The Leasowes. Le clou du spectacle en est le tombeau du philosophe Jean-Jacques Rousseau, métaphoriquement localisé sur une île à l'écart du monde afin de dénoncer la corruption de la société et de clamer la pureté de l'ordre naturel.
Le jardin anglais se développe fortement en France sous la Restauration, moment du retour des émigrés de la Révolution. Les bases de son adaptation française ont été jetées par Gabriel Thouin, qui en proposa une codification nouvelle en y additionnant les pelouses circulaires, des massifs et des parterres, générateurs de l'art de la mosaïculture. Avec l'avènement de la société de loisir, des règles urbanistiques et des préoccupations hygiénistes, naît le jardin public, et surtout le parc urbain, visant à concilier promenade, détente et mondanités. Il doit son essor à la préfecture du célèbre baron Haussmann qui l'intègre dans ses plans d'urbanisme en l'articulant avec une logique de voieries. En 1852, Haussmann charge ainsi les architectes-paysagistes Alphand et Barillet-Deschamps de l'aménagement du bois de Boulogne, du bois de Vincennes, du parc Monceau, du parc des Buttes-Chaumont, entre autres réalisations prestigieuses et confortables.
Rapidement étendu à l'ensemble du territoire, le parc urbain agrémente chaque cité tel un nouvel espace clé de la vie sociale, à l'instar de l'église, de la mairie et, quelques années plus tard, de l'école. Non seulement il traduit les intérêts de la société moderne, mais encore il témoigne du progrès des sciences, des transports et de la découverte de nouveaux territoires. Ainsi les nombreuses essences exotiques qui viennent enrichir ses collections horticoles sont-elles mises en valeur, voire explicitées dans une démarche didactique, conférant aussi au parc la fonction de jardin botanique, également très en vogue.
Sans surprise, les pratiques officielles influent sur l'art paysager du domaine privé, qui toutefois sait également se conformer aux codes académiques et autres héritages patrimoniaux. Car le XIXe siècle, qui recherche parfois violemment son identité artistique dans tous les domaines de l'art, se caractérise par son éclectisme et la grande diversité de ses références anciennes afin de générer son style propre. Si les partisans du classicisme optent pour le jardin à la française, le style anglais trouve particulièrement bien sa place dans les grandes propriétés terriennes où, associé à la fonction agropastorale, il produit le parc paysager agricole.
Le paysage y porte la trace de son concepteur ainsi que des fermiers et des métayers, qui tous modèlent la nature, les uns en la sublimant, les autres en lui conférant, par la culture de la terre et l'architecture vernaculaire, une dimension pittoresque voire folklorique. Correspondant à un idéal de société révolu, le parc paysager agricole se répand en particulier dans les territoires traditionnellement royalistes, en l'occurrence le centre et l'ouest de la France. Le paysagiste le plus prolifique en demeure le comte de Choulot, aristocrate retraité militaire passionné de jardins et auteur de plus de 300 parcs. Les frères Bühler, également, peuvent être considérés comme les porte-étendards de ce type de réalisation, quoique leur oeuvre reste encore en grande partie méconnue.
Dans un contexte de déplacement à travers le monde et de progrès industriel, l'art paysager du XIXe siècle se caractérise chaque jour davantage par son éclectisme. Si bien que, à force d'intégration d'essences exogènes, de nouvelles recherches esthétiques, on arrive à la création d'un style hybride, associant le jardin anglais et le jardin français, nommé jardin mixte, qui sera théorisé par l'éminent paysagiste Edouard André au début du XXe siècle.
Dans un contexte de déplacement à travers le monde et de progrès industriel, l'art paysager du XIXe siècle se caractérise chaque jour davantage par son éclectisme. Si bien que, à force d'intégration d'essences exogènes, de nouvelles recherches esthétiques, on arrive à la création d'un style hybride, associant le jardin anglais et le jardin français, nommé jardin mixte, qui sera théorisé par l'éminent paysagiste Edouard André au début du XXe siècle.
Bibliographie
- CHOULOT P. (de Lavenne, comte de), L’art des jardins, s.n., Paris, 1846.
- MANGIN A., Histoire des jardins anciens et modernes, Mame, Tours, 1888.
- MOSSER M., TEYSSOT G. (dir.), Histoire des jardins de la Renaissance à nos jours, Flammarion, Paris, 1991.
- NOURRY L.-M., Les jardins publics en province, espace et politique au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 1997.
- VAN ZUYLEN G., Tous les jardins du monde, coll. Découvertes Gallimard, Gallimard, Paris, 1994.
Autres sources
- ALPHAND A., Les promenades de Paris, Rotschild Ed., Paris, 1867-1873.