Le château et son domaine de la Belle Epoque aux années 1990
L'édifice conserva longtemps la fonction première que d'Abbadie lui destinait dans les clauses de son legs, c'est-à-dire celle de laboratoire scientifique. Mais, malgré la dimension privée de la demeure, l'histoire et la légende du savant se construisirent rapidement et perdurèrent par-delà les années, entrant dans la mémoire collective comme un objet de mythe.
Conformément aux volontés de d'Abbadie, non inscrites dans le legs mais officieusement admises par l'Académie des sciences, l'observatoire astronomique fut, tout au long de son existence moderne, dirigé par un homme d'église. A Vershaeffel, qui se retira pour questions de santé en 1922, succédèrent les abbés Paul François Calot (1923-1944), Jean-Claude Foursac (1945-1958) et Raymond Puiffe de Magondeaux (1958-1975). Il se dit que ce dernier célébra la dernière messe de la chapelle d'Abbadia avant son décès en 1994. Mais, après le conflit de 1939-1945, la direction scientifique fut placée sous l'égide d'éminents savants, d'abord Ernest Esclangon, membre de l'Académie des sciences et ancien directeur de l'observatoire de Paris, puis Pierre Sémirot, directeur de l'observatoire de Bordeaux.
L'instrumentation scientifique d'Abbadia connut de multiples modernisations au fil du XXe siècle et permit de participer à plusieurs programmes internationaux, tels que le Northern Photographic Zenital Tube. Plus précisément, l'observatoire d'Abbadia devint, après la Seconde guerre mondiale, une station d'observation, antenne de l'observatoire de Floirac. Mais les progrès fulgurants de l'instrumentation scientifique eurent raison de ses installations finalement devenues obsolètes, mais non moins intéressantes du point de vue de l'histoire des sciences. C'est en 1975 que l'abbé de Magondeaux, assisté de ses deux astronomes, Louis Etchegorry et Martin Tellechea, arrêta symboliquement les pendules de l'observatoire, mettant fin à son activité centenaire.
Parallèlement à cette existence savante, Abbadia et son domaine s'intégrèrent, plus encore que du vivant de d'Abbadie, à la vie de la population locale. La Belle Epoque confirma le développement d'Hendaye en tant que ville de villégiature. Déjà dotée de son Casino mauresque, la bourgade vit fleurir, sous la houlette des architectes Edmond Durandeau puis Henri Martinet, le nouveau quartier d'Hendaye-plage. Dans ce contexte, le site d'Abbadia devint un lieu de promenade et, faut-il en croire les cartes postales de l'époque, d'activités de loisirs et de détente.
Quant à l'ancien domaine de d'Abbadie, il fut progressivement morcelé, essentiellement pour des questions de gestion financière. Une importante partie de ces terres, depuis le promontoire de Larrekayx - ou pointe Sainte-Anne - jusqu'au château, fit l'objet d'une location à l'attention de la Société foncière d'Hendaye, qui y aménagea un golf et édifia un country-house à quelques mètres de la demeure. Cette activité dura une vingtaine d'années et cessa avec la fin du bail et le début de la Seconde guerre mondiale.
Durant le conflit mondial, les côtes sauvages d'Abbadia n'échappèrent pas à l'expansion du mur de l'Atlantique, dont les blokhaus, ou leurs vestiges, parsèment encore les prairies. L'occupant commença même à creuser un réseau de galeries souterraines, que sa défaite ne laissa pas le temps de terminer. Le château, pour sa part, fut investi d'une nouvelle fonction, qui n'aurait pas surpris Antoine d'Abbadie, quoique lui ayant sans doute fortement déplu. Il devint en effet un poste de commandement, où les officiers allemands élirent résidence. La fin de la guerre occasionna un état des lieux des dommages de l'édifice, dont le vitrail brisé du vestibule et les détériorations des peintures de la chapelle, faisant office de garage à vélos. Puis s'ensuivit une campagne de restauration menée dans les années 1950.
Durant les Trente glorieuses, les collines d'Abbadia continuèrent d'attirer la population locale et touristique, qui en fit un lieu de promenade, voire de camping, tandis que la quiétude du château, elle, n'était troublée que par les activités savantes ou les académiciens l'utilisant comme lieu de villégiature. Prenant progressivement conscience de la valeur de ce domaine naturel, l'Etat, par la création du Conservatoire du Littoral et des rivages lacustres, se porta acquéreur, dès 1977, de près de 70 hectares de la corniche basque, autrefois propriété de d'Abbadie.
Les années 1980 confirmèrent la reconnaissance et l'intérêt des institutions envers Abbadia. L'édifice fut classé au titre des Monuments Historiques en 1984, mais fut, cette même année, victime d'un cambriolage où disparurent de nombreux objets décoratifs. Entre 1999 et 2003, c'est l'ensemble des collections du château, ornementales et mobilières d'une part, puis instrumentales d'autre part, qui firent l'objet de la même protection. Enfin, en 2012, l'édifice se vit décerner le label Maison des illustres, créé à l'initiative de Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, dès la première campagne de labellisation.
Sa dimension d'habitation privée perdura jusqu'à ce que décision soit prise de rendre accessible ce patrimoine exceptionnel au grand public. En 1996, le château d'Abbadia fut officiellement et exclusivement ouvert aux visiteurs, dans une démarche de qualité du discours de médiation. L'équipe administrative, alors dirigée par l'astronome Martin Tellechea, mit au point un parcours de visite uniquement commentée, notamment fondé sur le mémoire de Sylvie Fourrel de Frettes. La nouvelle vie d'Abbadia pouvait alors commencer, consistant à transmettre les savoirs scientifiques selon le souhait de d'Abbadie, mais aussi les connaissances en termes d'étude morphologique et empirique du monument qui présente un intérêt incontestable en termes d'histoire et d'histoire de l'art.
Epilogue : A partir de 2008, l'Académie des sciences décida de renouer avec l'activité scientifique d'Abbadia. Avec la collaboration de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), elle installa des capteurs au sein des restes de la nadirane, dans le sous-sol de l'observatoire, afin d'effectuer des relevés géophysiques, concernant notamment le mouvement des marées, les microséismes et les interfaces du soleil. Ces données sont transmises en temps réels, par voie informatique, à l'Institut de Physique du Globe de Paris. Puis, suite au remaniement muséographique de l'observatoire, on procéda en 2013 à la création d'une évocation symbolique de la nadirane, située à l'endroit-même où Antoine d'Abbadie l'avait édifiée.
Bibliographie
- DELPECH V., Le château d'Abbadia à Hendaye: le monument idéal d'Antoine d'Abbadie, 3 volumes, thèse de doctorat d'Histoire de l'art, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2012.
- DURANDEAU E., Le château d'Abbadia avant la guerre, doc. non publié, Hendaye, 1946.
- DURANDEAU E., Domaine d'Abbadia, propriété de l'Académie des Sciences à Hendaye. Etat des dommages consécutifs à l'Occupation allemande. Château, communs, fermes, propriétés, doc. non publié, Hendaye, 1946.
- FOURREL DE FRETTES S., Le château d’Abbadia (1857-1879), mémoire de maîtrise d’Histoire de l’art contemporain, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 1994.
- SOULU F., "D'un observatoire à une station d'observation : Abbadia (1858-1975)", in NOE J. (de la), SOUBIRAN C. (dir.), La (re)fondation des observatoires astronomiques sous la IIIe République, Presses Universitaires de Bordeaux, 2011, p.277-291.
- TELLECHEA M., L’observatoire d’Abbadia, non publié, doc. Abbadia, note du 9 novembre 1984.
Autres sources
- Documentation du château d'Abbadia, Académie des sciences.