Lettre à Louis-Lucien Bonaparte (1856)
Généalogie du document
Fonds d'appartenance : Archives du château d'Abbadia. Site d'Hendaye Nom du propriétaire du fonds : Académie des SciencesInventaire d'appartenance : Volume de copies de lettres G Référence inventaire d'appartenance : Volume de copies de lettres G
Détails sur le document
Référence : Volume de copies de lettres G, fol. 292-293.Auteur : Antoine d'Abbadie
Description physique : Correspondance
Format du document : non renseigné
Langues du document :
Description du document
Présentation
Antoine d'Abbadie rédigea cette lettre le 19 juillet 1856 à l'attention du prince Louis-Lucien Bonaparte. Le frère de l'Empereur Napoléon III se consacrait en effet à l'étude des langues régionales européennes, et particulièrement à celle du Basque.
Il consulta d'Abbadie sur les conditions de voyage au Pays basque Sud, s'inquiétant visiblement de l'instabilité politique qui régna en Espagne tout au long du XIXe siècle, à cause des conflits de succession au trône. D'Abbadie prit le temps d'une réponse longue, argumentée et réconfortante pour le prince impérial, qui envisageait d'étudier les idiomes basques des provinces de Navarre, Guipuzcoa et Biscaye.
Après cette lettre, Louis-Lucien Bonaparte effectua un important voyage d'étude, d'où résulta une cartographie des dialectes basques encore fondamentale pour les linguistes spécialistes de l'Euskara. D'Abbadie l'accompagna d'ailleurs durant quelques jours en Navarre et présenta, plus d'une décennie plus tard, les travaux du prince à la Société d'Anthropologie.
Ce document illustre en outre le profond attachement d'Antoine d'Abbadie pour le Pays basque, mais aussi la relation érudite qu'il entretint avec le prince impérial. Louis-Lucien Bonaparte siégea parfois au jury des concours basques organisés par d'Abbadie. Et surtout, les deux hommes avaient l'habitude d'échanger leurs réflexions linguistiques et philologiques, et s'entraidaient dans leur collecte respective d'ouvrages en langue basque.
Il consulta d'Abbadie sur les conditions de voyage au Pays basque Sud, s'inquiétant visiblement de l'instabilité politique qui régna en Espagne tout au long du XIXe siècle, à cause des conflits de succession au trône. D'Abbadie prit le temps d'une réponse longue, argumentée et réconfortante pour le prince impérial, qui envisageait d'étudier les idiomes basques des provinces de Navarre, Guipuzcoa et Biscaye.
Après cette lettre, Louis-Lucien Bonaparte effectua un important voyage d'étude, d'où résulta une cartographie des dialectes basques encore fondamentale pour les linguistes spécialistes de l'Euskara. D'Abbadie l'accompagna d'ailleurs durant quelques jours en Navarre et présenta, plus d'une décennie plus tard, les travaux du prince à la Société d'Anthropologie.
Ce document illustre en outre le profond attachement d'Antoine d'Abbadie pour le Pays basque, mais aussi la relation érudite qu'il entretint avec le prince impérial. Louis-Lucien Bonaparte siégea parfois au jury des concours basques organisés par d'Abbadie. Et surtout, les deux hommes avaient l'habitude d'échanger leurs réflexions linguistiques et philologiques, et s'entraidaient dans leur collecte respective d'ouvrages en langue basque.
Transcription
Urrugne, 1856 juillet 19
Votre altesse impériale veut bien me consulter pour savoir si un français peut parcourir sans inconvénient les provinces basques espagnoles pour y étudier la langue et y recueillir les vieux monuments de sa littérature si peu connue. Passionné moi-même par l'idiome de mes pères, j'ai déjà foulé plus d'une fois les provinces basques espagnoles, laissant toujours mon passeport à la frontière, quelquefois en voiture ou en cacolet, mais le plus souvent seul à pied. J'y ai cheminé de nuit et de jour sans ordre d'introduction et j'ai toujours été bien accueilli, et fêté même, dès qu'on a su que je venais étudier la langue basque. Il y a vingt ans que j'ai passé les Pyrénées pour la première fois et je ne perds pas une occasion de visiter le Guipuzcoa et même la Biscaye qui est dans ce dernier pays.
Etant sans argent vers la fin de mon séjour, j'ai reçu d'un inconnu un prêt d'argent sans autre garantie que ma parole. Si mon travail sur l'Ethiopie me le permettait, je poursuivrais mon commencement d'étude sur les libertés locales des provinces basques. Mais j'en sais assez pour affirmer qu'un étranger quelconque pourvu qu'il soit catholique, et à plus forte raison un voyageur qui porte un nom aussi glorieux que celui de Votre Altesse, ne peut être exposé à aucun désagrément dans ces contrées, tant qu'aucune municipalité n'aura levé formellement l'étendard de la rébellion. Je fais ici d'ailleurs une hypothèse purement gratuite car un ancien officier des gardes suisses de Madrid, qui vient de quitter St-Jean-de-Luz pour retourner à Berne sa patrie et qui avait des amis dans l'ancienne faction carliste m'a assuré que les provinces basques ne songeaient aucunement à se soulever vu que les factions espagnoles de Madrid, Aragon etc. n'avaient pas encore menacé les libertés basques. Je suis tellement persuadé de tout ceci que si je pouvais servir en rien au-delà des Pyrénées les intentions de Votre Altesse, je partirais à l'heure même, sans prendre aucune information, pour atteindre n'importe quel village Basque entre Bilbao et Pampelune.
La question de Votre Altesse me fait présumer qu'Elle
[G293]
[ill.] nos bons voisins les Basques d'Espagne. On est un peu alarmiste à Bayonne parmi nos fonctionnaires, et je me permettrai à cet égard de raconter ce qui suit :
Il y a environ un an, un ex-officier de Zumalakarregay [Zumalakarregui], homme fort tranquille d'ailleurs, nommé Arrondo et qu'on voulait interner, me pria de l'employer comme journalier dans mon bien d'Audaux en Béarn. Je m'adressai à M. le sous-préfet de Bayonne qui crut devoir refuser. M. Laity, notre préfet, qui s'est fait tant aimer dans nos contrées, prit sur lui avec une bienveillance remarquable, de déférer à ma prière, et Arrondo qui m'avait donné sa parole de ne plus se mêler d'affaires politiques, est resté fort tranquille depuis ce temps à Audaux où il soigne mes prairies. Au mois de mars dernier une lettre envoyée de la Préfecture de Pau, m'apprit qu'on y était informé que l'homme était échappé d'Audaux pour se réfugier de nouveau à Urrugne. Fort effrayé de voir une garantie morale compromise, j'allais aux informations et il me fut [ill.] de constater qu'Arrondo n'avait jamais quitté Audaux. J'ai été tenté d'en conclure que dans la presse des affaires de Bayonne, on y recueille parfois des bruits [ill.] comme des [ill.].
Par mon prochain messager, j'enverrai à Votre Altesse un de mes journaux de science et quelques imprimés Basques, minimes il est vrai, mais qui je l'espère manquent à la plus belle collection d'ouvrages Basques qui nous est connue.
Daignez agréer, Monseigneur, les plus respectueux hommages de son très humble et toujours dévoué
Antoine d'Abbadie
Corresp. [Correspondant] de l'Institut
A son altesse impériale Louis Lucien [Bonaparte].
Votre altesse impériale veut bien me consulter pour savoir si un français peut parcourir sans inconvénient les provinces basques espagnoles pour y étudier la langue et y recueillir les vieux monuments de sa littérature si peu connue. Passionné moi-même par l'idiome de mes pères, j'ai déjà foulé plus d'une fois les provinces basques espagnoles, laissant toujours mon passeport à la frontière, quelquefois en voiture ou en cacolet, mais le plus souvent seul à pied. J'y ai cheminé de nuit et de jour sans ordre d'introduction et j'ai toujours été bien accueilli, et fêté même, dès qu'on a su que je venais étudier la langue basque. Il y a vingt ans que j'ai passé les Pyrénées pour la première fois et je ne perds pas une occasion de visiter le Guipuzcoa et même la Biscaye qui est dans ce dernier pays.
Etant sans argent vers la fin de mon séjour, j'ai reçu d'un inconnu un prêt d'argent sans autre garantie que ma parole. Si mon travail sur l'Ethiopie me le permettait, je poursuivrais mon commencement d'étude sur les libertés locales des provinces basques. Mais j'en sais assez pour affirmer qu'un étranger quelconque pourvu qu'il soit catholique, et à plus forte raison un voyageur qui porte un nom aussi glorieux que celui de Votre Altesse, ne peut être exposé à aucun désagrément dans ces contrées, tant qu'aucune municipalité n'aura levé formellement l'étendard de la rébellion. Je fais ici d'ailleurs une hypothèse purement gratuite car un ancien officier des gardes suisses de Madrid, qui vient de quitter St-Jean-de-Luz pour retourner à Berne sa patrie et qui avait des amis dans l'ancienne faction carliste m'a assuré que les provinces basques ne songeaient aucunement à se soulever vu que les factions espagnoles de Madrid, Aragon etc. n'avaient pas encore menacé les libertés basques. Je suis tellement persuadé de tout ceci que si je pouvais servir en rien au-delà des Pyrénées les intentions de Votre Altesse, je partirais à l'heure même, sans prendre aucune information, pour atteindre n'importe quel village Basque entre Bilbao et Pampelune.
La question de Votre Altesse me fait présumer qu'Elle
[G293]
[ill.] nos bons voisins les Basques d'Espagne. On est un peu alarmiste à Bayonne parmi nos fonctionnaires, et je me permettrai à cet égard de raconter ce qui suit :
Il y a environ un an, un ex-officier de Zumalakarregay [Zumalakarregui], homme fort tranquille d'ailleurs, nommé Arrondo et qu'on voulait interner, me pria de l'employer comme journalier dans mon bien d'Audaux en Béarn. Je m'adressai à M. le sous-préfet de Bayonne qui crut devoir refuser. M. Laity, notre préfet, qui s'est fait tant aimer dans nos contrées, prit sur lui avec une bienveillance remarquable, de déférer à ma prière, et Arrondo qui m'avait donné sa parole de ne plus se mêler d'affaires politiques, est resté fort tranquille depuis ce temps à Audaux où il soigne mes prairies. Au mois de mars dernier une lettre envoyée de la Préfecture de Pau, m'apprit qu'on y était informé que l'homme était échappé d'Audaux pour se réfugier de nouveau à Urrugne. Fort effrayé de voir une garantie morale compromise, j'allais aux informations et il me fut [ill.] de constater qu'Arrondo n'avait jamais quitté Audaux. J'ai été tenté d'en conclure que dans la presse des affaires de Bayonne, on y recueille parfois des bruits [ill.] comme des [ill.].
Par mon prochain messager, j'enverrai à Votre Altesse un de mes journaux de science et quelques imprimés Basques, minimes il est vrai, mais qui je l'espère manquent à la plus belle collection d'ouvrages Basques qui nous est connue.
Daignez agréer, Monseigneur, les plus respectueux hommages de son très humble et toujours dévoué
Antoine d'Abbadie
Corresp. [Correspondant] de l'Institut
A son altesse impériale Louis Lucien [Bonaparte].
Bibliographie
- URKIZU P. (dir.), Antoine d’Abbadie (1897-1997), actes du congrès International, Eusko Ikaskuntza/Euskaltzaindia, Bayonne/Donostia-San Sebastian, 1998.