Les fêtes basques d'Antoine d'Abbadie
Antoine d'Abbadie voulut sans doute suivre les pas de son père, qui l'avait sensibilisé à la culture de ses ancêtres par ses actions et leurs séjours fréquents sur la côte basque.
Après son retour d'Ethiopie, en 1850, Antoine d'Abbadie décida de se consacrer pleinement à la culture basque, qu'il avait nécessairement délaissée durant douze ans. Cet engagement s'inscrit dans un contexte de réaction identitaire exprimée aux niveaux nationaux, avec la genèse des Etats nations, et régionaux, avec les revendications florissantes des cultures locales. Aussi d'Abbadie estimait-il l'identité et la langue basques dévaluées par les réformes de la Révolution de 1789 et le pouvoir centralisé de Paris.
C'est pourquoi il institua, à partir de 1851 à Urrugne, des concours annuels de pelote et de vers basques. Rapidement ces jeux s'étendirent aux sept provinces Nord et Sud du Pays basque et à une palette de pratiques représentative des us et coutumes locales. Ces grandes fêtes basques furent baptisés Lore jokoak - ou Jeux floraux - en référence aux joutes oratoires du Midi de la France et de Catalogne. Chaque année, une commune basque était désignée pour accueillir, dès lors, ces rencontres populaires qui insufflèrent un renouveau dans l'identité et la culture euskaldun et constituent sans doute les ancêtres des fêtes d'aujourd'hui.
Ces concours avaient lieu dans le cadre des fêtes patronales des communes désignés ou volontaires pour les accueillir. Les treize premières années, de 1851 à 1863, c'est Urrugne qui organisait ces rassemblements ludiques et populaires. Puis le village de Sare lui succéda à partir de 1863 jusqu'en 1876. Par la suite, les Jeux Floraux, connaissant un franc succès, furent exportés de village en village de part et d'autre de la frontière et survécurent une trentaine d'années après le décès de d'Abbadie.
Le Jeux Floraux proposaient des concours multiples dans un contexte de convivialité et d'animations traditionnelles. Sur fond de chants basques, de bals ou encore de feux d'artifice, les concurrents prenaient place pour s'affronter dans les concours de bertsolari - joutes oratoires de vers improvisés et chantés -, d'irrintzina - cri long et strident énoncé par les bergers -, de danses, telles que l'aurresku - ou danse d'hommage - et l'ezpata dantza - ou danse de l'Epée -, mais aussi des courses de porteuses de cruches ou encore des concours d'élevage bovin. Dans les domaines littéraires, un jury de personnalités était constitué en amont, de même que les sujets des concours poétiques furent imposés à certaines périodes.
Les meilleurs concurrents, tous jeux confondus, recevaient des makila - ou canne de berger -, des bourses et pièces d'or, des sommes d'argent ou encore des ceintures de soie. Les vainqueurs des poèmes avaient en outre le privilège de voir leur oeuvre imprimée et placardée sur les places publiques. D'Abbadie finançait lui-même de nombreux prix, mais ses proches aimaient aussi jouer les mécènes, ce qui était, entre autres, le cas de Virginie d'Abbadie qui soutenait les concours d'irrintzina. Comme l'affirmait l'éminent historien et anthropologue Pierre Bidart, le peuple basque se réunissait, grâce à l'initiative d'Antoine d'Abbadie, dans des fêtes totales, célébrant l'âme basque.
Bien qu'il ne s'agisse pas d'une initiative exclusive car de nombreuses autres populations régionales instaurèrent ce genre de célébrations de leurs folklores et de leurs traditions, cette contribution n'en demeure pas moins fondamentale pour la renaissance identitaire basque à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. A tel point que les Basques rendirent hommage à d'Abbadie en lui offrant l'élogieux surnom de Euskaldunen Aïta, le père des Basques. A Saint-Jean-de-Luz en 1892, ils lui remirent un makila d'honneur pour lui exprimer leur reconnaissance d'avoir su préserver leur culture et leur identité. En dépit de la profusion de ses travaux scientifiques, le souvenir de d'Abbadie a particulièrement bien perduré auprès du peuple basque, qui, il y a seulement quelques années par exemple, lui dédiait encore une pastorale.
Les Jeux floraux, qui célébraient les coutumes ancestrales basques, font désormais l'objet eux-mêmes d'une renaissance, grâce à l'initiative du village de Vera de Bidassoa, en province de Guipuzcoa, qui, après avoir accueilli les concours du vivant de d'Abbadie, en organise de nos jours.
Bibliographie
- ABBADIE A. (d’), CHAHO A., Etudes grammaticales sur la langue euskarienne, Arthus Bertrand, Paris, 1836.
- BIDART P. "Ethnographie et esthétique des traditions populaires basques dans les concours de poésie basque" , in URKIZU P. (dir.), Antoine d’Abbadie (1897-1997), actes du congrès International, Eusko Ikaskuntza/Euskaltzaindia, Bayonne/Donostia-San Sebastian, 1998, p.263-288.
- DAVANT J.-L., "Lore Jokoak. Les jeux floraux d'Antoine d'Abbadie", in DERCOURT J. (dir.), Antoine d'Abbadie, de l'Abyssinie au Pays basque. Voyage d'une vie, Atlantica, Biarritz, 2010, p.43-73.
- GOYHENETCHE M., "Antoine d'Abbadie, intermédiaire social et culturel du Pays basque du XIXe siècle?", in URKIZU P. (dir.), Antoine d’Abbadie (1897-1997), actes du congrès International, Eusko Ikaskuntza/Euskaltzaindia, Bayonne/Donostia-San Sebastian, 1998, p.175-208.
- URKIZU P. (dir.), Antoine d’Abbadie (1897-1997), Congrès International, Hendaye/Sare, 1997, Editions Eusko Ikaskuntza, Donostia-San Sebastián, 1998.
- URKIZU P., Antoine d’Abbadie (1810-1897), Atlantica, Biarritz, 2011.
Autres sources
- COYOS ETXEBARNE B. (dir.), Hommage à Augustin Chaho - deux-centième anniversaire de sa naissance, Lankidetzan, n°61, Eusko Ikaskuntza, Donostia-San Sebastian, 2013.
- ZABALTZA X., Augustin Chaho (1811-1858) Un précurseur incompris, Gobierno Vasco, Vitoria-Gasteiz, 2011.
- "Antton Abbadia y los Juegos florales" in Aunamendi Eusko Entziklopedia [En ligne], réf. du 20 juillet 2014. URL: http://www.euskomedia.org/aunamendi/153835/141284