Le style et le mouvement néogothique
Le XVIIIe et le XIXe siècles européens virent ainsi se confronter plusieurs mouvements de pensée qui influencèrent la production artistique. Parmi eux, le mouvement néogothique, fortement lié au romantisme, s'affirme en réaction à une philosophie un peu trop universelle, oublieuse de l'héritage et de l'identité nationale.
En effet, le style néogothique ne concerne pas seulement l'architecture et la décoration. Il s'agit en réalité d'un mouvement culturel global symptomatique d'une philosophie nouvelle se propageant dans toutes formes d'art, particulièrement en littérature, avec le roman ou la poésie gothiques, mais aussi en musique, quoique cette discipline soit affectée plus tardivement par ce mode de pensée.
De l'Angleterre...
C'est véritablement en Angleterre que naquit ce mouvement baptisé "Gothic revival". En 1750, l'antiquaire et romancier Horace Walpole édifia la première demeure néogothique, le château de Strawberry Hill, non loin des berges de la Tamise afin d'en faire un lieu de villégiature et d'agrément. Ainsi ce château, situé à Twickenham, fut-il le premier à témoigner du goût de l'Antiquité et à résulter d'une démarche archéologiste. Il faut dire que, à cette époque, Outre-Manche, on se plaisait à valoriser les édifices du Gothic survival, c'est-à-dire les authentiques constructions médiévales ayant survécu aux siècles et à leurs malheurs. L'un des contemporains de Walpole, William Beckford, érigea quelques années plus tard une fantaisiste et extravagante demeure baptisée Fonthill Abbey, qui d'une abbaye n'avait que l'allure.
Parallèlement, la littérature voit éclore le génie romantique de Walter Scott, qui édifiera également sa demeure dans le goût historiciste national au début du XIXe siècle, ou encore le fictif barde Ossian, qui rappelle l'identité anté-chrétienne de l'antique Albion.
... A la France
En France, le mouvement romantique connaît son essor à la fin du XVIIIe siècle, consécutivement à la Révolution de 1789. Nombre d'auteurs renouent avec le Moyen Age, conspué depuis la Renaissance et presque anéanti par la République en raison de son système sectaire et inégalitaire. Chateaubriand le premier réhabilite l'époque féodale, tel un idéal perdu, telles les terres orientales perçues comme la source de la civilisation chrétienne. Rapidement il sera suivi par Hugo, Lamartine, tous ces écrivains romantiques qui recherchent la modernité et le progrès en se fondant sur leurs racines.
En réaction au désastre de la Révolution en termes de patrimoine médiéval, une prise de conscience a lieu chez ces penseurs, mais aussi au sein de la société et des institutions. Si la Première République a institué les musées et a vu émergé la notion de patrimoine, c'est bien sous l'Empire, dans un premier temps, puis surtout la Restauration, que l'architecture et la décoration gothiques sont remis au goût du jour dans certains pans des élites sociales, tels que les émigrés royalistes de retour de leur exil grâce à la prise de pouvoir de Louis XVIII.
Les âges du Gothic revival ou néogothique
Alors, apparaît le style gothique troubadour, qui n'a de gothique que des clichés souvent grossiers, contrairement au néogothique, plus tardif, qui se fonde davantage sur une démarche archéologiste. Cela n'empêche que les architectes édifiant dans ce style n'adoptent pas tous la même approche. Les uns sont des maîtres d'oeuvre formés à l'Académie des Beaux-arts, ayant effectué leur séjour à Rome, et se contentent d'agrémenter de citations gothiques des édifices au plan et à l'organisation bel et bien classiques ou néoclassiques. D'autres, comme Viollet-le-Duc et ses disciples, recherchent l'essence même de l'architecture gothique, en étudiant le raisonnement des maîtres du Moyen Age. Fondée sur des recherches archéologiques, cette démarche proprement rationaliste visait à créer un art contemporain renouvelé et adapté au mode de vie et à la société du XIXe siècle. Malgré son esthétique historiciste, il y a, dans le choix gothique viollet-le-ducien, une volonté de modernité fondamentale.
Mais, en France, hormis dans les provinces traditionnellement royalistes, le style architectural néogothique n'aura de succès que dans les édifices religieux, dont il devient le style consacré. Cela est autrement différent Outre-Manche où les cottages de style gothic revival, où les administrations, comme les Houses of Parliament de Pugin, se reconnaissent dans ce style d'identité et de moralité chrétienne.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le néogothique se répand dans les réseaux de la villégiature, faisant de la demeure néogothique la partie prenante d'une vogue architecturale éclectique, mêlant édifices pittoresques vernaculaires, monuments orientalistes et constructions classiques. Il perd ainsi de son fondement essentiel, qui résidait en la réhabilitation du patrimoine national, et sera, dès l'Entre-deux-guerres, aspiré par un renouveau franc et moderniste n'offrant plus de place à ce trop lointain passé.
Bibliographie
- BROOKS C., The Gothic revival, Phaidon, Londres, 1999.
- HITCHCOCK H.R., Architecture : nineteenth and twentieth centuries, Pelican History of art/Yale university press, New York, 1987.
- MIDDLETON R., WATKIN D., Architecture du XIXe siècle, coll. Histoire de l’Architecture, Gallimard/Electa, Paris/Milan, 1993.
- MIGNOT C., L’architecture du XIXe siècle, Edition du Moniteur, Fribourg, Suisse, 1983.
- WAINWRIGHT C., The romantic interior. The British collector at home. 1750-1850, Yale University Press, 1989.