Lettre à Edmond Duthoit (mi-déc. 1864)
Généalogie du document
Fonds d'appartenance : Archives du château d'Abbadia. Site d'Hendaye Nom du propriétaire du fonds : Académie des SciencesInventaire d'appartenance : Volume de copies de lettres L Référence inventaire d'appartenance : Volume de copies de lettres L
Détails sur le document
Référence : Volume de copies de lettres L, fol. 439Auteur : Antoine d'Abbadie
Description physique : Correspondance
Format du document : non renseigné
Langues du document :
Description du document
Présentation
Antoine d'Abbadie rédigea cette lettre, qui constitue une réponse à l'attention d'Edmond Duthoit, à la mi-décembre 1864. Le chantier était en cours d'exécution, avec notamment le montage des voûtes du soubassement de l'édifice, une opération complexe et chronophage.
Si le savant évoque les caractéristiques physiques et économiques de la pierre, c'est parce qu'il est tant de sélectionner le matériau qui sera usité pour les murs de parement extérieurs s'élevant du sous-sol jusqu'aux toitures. Observant la diversité des pierres disponibles dans les environs, d'Abbadie introduit un concept qui sera complètement agréé par Duthoit et son maître, celui de la polychromie pétrographique.
Le sujet de la bibliothèque le préoccupe encore fortement, car il désire lui offrir le plus bel effet. La question de ses dimensions n'est pas encore réglée, en raison des objections des architectes aux propositions d'aménagement de d'Abbadie. Si Duthoit et Viollet-le-Duc finissent par maintenir l'ensemble du premier étage au même niveau, contrairement à l'idée de commanditaire d'abaisser le sol de la biblioithèque, d'Abbadie remportera la bataille de l'unique pièce, plus spectaculaire, que les architectes estiment peu pratique du point de vue du chauffage.
Nombreuses sont les questions adressées à Viollet-le-Duc par l'intermédiaire de Duthoit, qui ne peut que répondre, à ce moment, que son maître considère indispensable de bien étudier les plans et d'y apporter quelques modifications. Aussi, bien que le principal correspondant demeure Duthoit, son employeur n'est en réalité jamais loin pour prendre sur lui les décisions.
Cette lettre témoigne en outre de la dimension fantaisiste que d'Abbadie souhaite conférer à sa demeure, avec son projet d'inscription arabe au-dessus des baies de la salle à manger, motivée par l'esthétique plaisante de la calligraphie arabe, ou bien l'impératif original voire capricieux de pouvoir observer le phare de Biarritz depuis le grand salon. Afin de satisfaire son commanditaire, Duthoit l'informe des solutions envisagées par Viollet-le-Duc, notamment d'un projet de fenêtre saillante, qui, au final, sera abandonné.
Le dernier paragraphe évoque l'entrée de l'édifice par les cuisines, au sous-sol de l'élévation Nord. Malgré son esprit pratique, d'Abbadie prend le parti de supprimer les lieux d'aisance des domestiques afin de bénéficier d'un hall plus vaste. Cette décision de les renvoyer jusque dans les étages révèle la considération dépréciante ou l'indifférence habituelle des maîtres de maison de ce milieu social envers leur personnel.
Ce document aborde une grande variété de sujets liés au déroulement du chantier, révélatrice de l'intense activité de la phase de gros oeuvre. Elle sous-entend en outre les réponses de Duthoit, et donc, les échanges extrêmement précis qui eurent lieu entre l'architecte, attentif, et le commanditaire, très investi par la construction de sa demeure.
Si le savant évoque les caractéristiques physiques et économiques de la pierre, c'est parce qu'il est tant de sélectionner le matériau qui sera usité pour les murs de parement extérieurs s'élevant du sous-sol jusqu'aux toitures. Observant la diversité des pierres disponibles dans les environs, d'Abbadie introduit un concept qui sera complètement agréé par Duthoit et son maître, celui de la polychromie pétrographique.
Le sujet de la bibliothèque le préoccupe encore fortement, car il désire lui offrir le plus bel effet. La question de ses dimensions n'est pas encore réglée, en raison des objections des architectes aux propositions d'aménagement de d'Abbadie. Si Duthoit et Viollet-le-Duc finissent par maintenir l'ensemble du premier étage au même niveau, contrairement à l'idée de commanditaire d'abaisser le sol de la biblioithèque, d'Abbadie remportera la bataille de l'unique pièce, plus spectaculaire, que les architectes estiment peu pratique du point de vue du chauffage.
Nombreuses sont les questions adressées à Viollet-le-Duc par l'intermédiaire de Duthoit, qui ne peut que répondre, à ce moment, que son maître considère indispensable de bien étudier les plans et d'y apporter quelques modifications. Aussi, bien que le principal correspondant demeure Duthoit, son employeur n'est en réalité jamais loin pour prendre sur lui les décisions.
Cette lettre témoigne en outre de la dimension fantaisiste que d'Abbadie souhaite conférer à sa demeure, avec son projet d'inscription arabe au-dessus des baies de la salle à manger, motivée par l'esthétique plaisante de la calligraphie arabe, ou bien l'impératif original voire capricieux de pouvoir observer le phare de Biarritz depuis le grand salon. Afin de satisfaire son commanditaire, Duthoit l'informe des solutions envisagées par Viollet-le-Duc, notamment d'un projet de fenêtre saillante, qui, au final, sera abandonné.
Le dernier paragraphe évoque l'entrée de l'édifice par les cuisines, au sous-sol de l'élévation Nord. Malgré son esprit pratique, d'Abbadie prend le parti de supprimer les lieux d'aisance des domestiques afin de bénéficier d'un hall plus vaste. Cette décision de les renvoyer jusque dans les étages révèle la considération dépréciante ou l'indifférence habituelle des maîtres de maison de ce milieu social envers leur personnel.
Ce document aborde une grande variété de sujets liés au déroulement du chantier, révélatrice de l'intense activité de la phase de gros oeuvre. Elle sous-entend en outre les réponses de Duthoit, et donc, les échanges extrêmement précis qui eurent lieu entre l'architecte, attentif, et le commanditaire, très investi par la construction de sa demeure.
Transcription
Aragorri, 1864 décembre 19
Monsieur,
Une indisposition m'a empêché de répondre plus tôt à votre dernière lettre qui est sans date, mais que j'ai reçu le 16 ou 17 courant.
La pierre noirâtre que vous avez vue est employée pour le moellon polygonal. J’en puis avoir 25 mt cubes par mois, au prix de 20 fr. environ. Elle vient des environs de la Croix des Bouquets. Cette pierre est trop sombre à mon avis pour être employée seule et puis il me faut 300 mt c de moellons assisés, ce qui prendrait un an pour la fourniture. J’ai donc songé au calcaire de Fontarrabie où le fournisseur est bien plus actif et plus sûr. Les pierres de cette provenance sont 1° blanc terne. 2° rouge brique terne. 3° d’un gris presque identique à celui de ma pierre de taille. Les 3 nuances sont en quantité à peu près égale et cette pierre d’Espagne coûte à pied d’œuvre et prête à être employée, 27 fr. par mt. c.
On fait la voûte à l’entrée de la cuisine, et les tailleurs de pierre ne cessent pas. Tous les angles sont taillés ainsi que beaucoup d'autres pièces. Je désire savoir pourquoi vous préférez au rez-de-chaussée 30 cm à 25 pour l'épaisseur des tableaux des croisées, car les pierres plus fortes coûteront davantage.
Vous avez oublié ce qui a été dit pr [pour] le premier. Je vais donc vous le répéter. Chez un de mes amis, une salle des dimensions de ma bibliothèque et dont je crois vous avoir écrit les grandeurs, est évidemment trop basse. J'ai donc demandé plus d'élévation à cette pièce tout en renonçant à la partager en deux comme j'en ai d'abord donné l'instruction. En effet, ce partagé gâterait l'aspect d'une seule salle et quant à votre objection qu'on ne pourrait la chauffer, V. [Virginie] dit que le froid est rare ici. En effet je suis frileux lorsque j'écris dans une chambre sans feu. C'est l'humidité et non le froid qui est à craindre ici. A tout cela et à d'autres observations que j'ai faites, vous avez répondu que M. V-le-Duc [Viollet-le-Duc] avait dit de son propre mouvement qu'il fallait encore étudier tout le premier. J'attends les fruits de cette étude : entre autres la fenêtre à l'Est qui devra éclairer les rayons sur le mur Nord, l'escalier du donjon qui doit permettre d'aller sur le toit de l'observatoire tout en oubliant que le rez-de-chaussée est là 40 cm plus bas que dans l'habitation, la vitre du foyer de la bibliothèque, etc.
Vous oubliez que la fenêtre saillante du salon, à laquelle je ne tiens pas, a été proposée par M. V.le.Duc en réponse à mon désir quand il en était encore bien temps, qu'il avait trop allongé la chapelle et que j'aimais à voir du salon le phare de Biarritz. J'[ill.] ces motifs contre cette fenêtre saillante, mais j'aimerais savoir comme plus tôt est-ce qu'on pourrait faire mieux qu'il veut pour voir le malheureux phare.
Mettre à cette fenêtre du salon une épaisseur de tableau de 25 cm au moins, et abattre l'angle de ce tableau, du moins à la hauteur d'un homme debout. Je crains seulement que l'effet n'en soit disgrâcieux à l'extérieur.
Il était convenu entre nous que pour relever la fenêtre un peu lourde de la salle à manger, son bandeau supérieur serait relevé de cette manière : [croquis]. La pierre A recevrait alors une inscription que je ferais alors en arabe, à cause de la grâce des caractères. Quoi qu'il en soit de l'inscription sur laquelle je voudrais avoir votre avis, je vous prie de m'envoyer l'indication nécessaire pour faire un relèvement de bandeau.
L'inconvénient d'un lieu d'aisance à la porte d'entrée du sous-sol me semble grave. Heureusement on peut le supprimer et en faire un au second. Les domestiques se donneront la peine d’y grimper. Votre petite fenêtre éclairera alors l’entrée qui sera convenablement dégagée. J’espère que vous approuverez ce petit changement.
Veuillez prêter grande attention à toutes les solutions que je vous demande, tout en agréant mes salutations cordiales.
Antoine d'Abbadie
Monsieur,
Une indisposition m'a empêché de répondre plus tôt à votre dernière lettre qui est sans date, mais que j'ai reçu le 16 ou 17 courant.
La pierre noirâtre que vous avez vue est employée pour le moellon polygonal. J’en puis avoir 25 mt cubes par mois, au prix de 20 fr. environ. Elle vient des environs de la Croix des Bouquets. Cette pierre est trop sombre à mon avis pour être employée seule et puis il me faut 300 mt c de moellons assisés, ce qui prendrait un an pour la fourniture. J’ai donc songé au calcaire de Fontarrabie où le fournisseur est bien plus actif et plus sûr. Les pierres de cette provenance sont 1° blanc terne. 2° rouge brique terne. 3° d’un gris presque identique à celui de ma pierre de taille. Les 3 nuances sont en quantité à peu près égale et cette pierre d’Espagne coûte à pied d’œuvre et prête à être employée, 27 fr. par mt. c.
On fait la voûte à l’entrée de la cuisine, et les tailleurs de pierre ne cessent pas. Tous les angles sont taillés ainsi que beaucoup d'autres pièces. Je désire savoir pourquoi vous préférez au rez-de-chaussée 30 cm à 25 pour l'épaisseur des tableaux des croisées, car les pierres plus fortes coûteront davantage.
Vous avez oublié ce qui a été dit pr [pour] le premier. Je vais donc vous le répéter. Chez un de mes amis, une salle des dimensions de ma bibliothèque et dont je crois vous avoir écrit les grandeurs, est évidemment trop basse. J'ai donc demandé plus d'élévation à cette pièce tout en renonçant à la partager en deux comme j'en ai d'abord donné l'instruction. En effet, ce partagé gâterait l'aspect d'une seule salle et quant à votre objection qu'on ne pourrait la chauffer, V. [Virginie] dit que le froid est rare ici. En effet je suis frileux lorsque j'écris dans une chambre sans feu. C'est l'humidité et non le froid qui est à craindre ici. A tout cela et à d'autres observations que j'ai faites, vous avez répondu que M. V-le-Duc [Viollet-le-Duc] avait dit de son propre mouvement qu'il fallait encore étudier tout le premier. J'attends les fruits de cette étude : entre autres la fenêtre à l'Est qui devra éclairer les rayons sur le mur Nord, l'escalier du donjon qui doit permettre d'aller sur le toit de l'observatoire tout en oubliant que le rez-de-chaussée est là 40 cm plus bas que dans l'habitation, la vitre du foyer de la bibliothèque, etc.
Vous oubliez que la fenêtre saillante du salon, à laquelle je ne tiens pas, a été proposée par M. V.le.Duc en réponse à mon désir quand il en était encore bien temps, qu'il avait trop allongé la chapelle et que j'aimais à voir du salon le phare de Biarritz. J'[ill.] ces motifs contre cette fenêtre saillante, mais j'aimerais savoir comme plus tôt est-ce qu'on pourrait faire mieux qu'il veut pour voir le malheureux phare.
Mettre à cette fenêtre du salon une épaisseur de tableau de 25 cm au moins, et abattre l'angle de ce tableau, du moins à la hauteur d'un homme debout. Je crains seulement que l'effet n'en soit disgrâcieux à l'extérieur.
Il était convenu entre nous que pour relever la fenêtre un peu lourde de la salle à manger, son bandeau supérieur serait relevé de cette manière : [croquis]. La pierre A recevrait alors une inscription que je ferais alors en arabe, à cause de la grâce des caractères. Quoi qu'il en soit de l'inscription sur laquelle je voudrais avoir votre avis, je vous prie de m'envoyer l'indication nécessaire pour faire un relèvement de bandeau.
L'inconvénient d'un lieu d'aisance à la porte d'entrée du sous-sol me semble grave. Heureusement on peut le supprimer et en faire un au second. Les domestiques se donneront la peine d’y grimper. Votre petite fenêtre éclairera alors l’entrée qui sera convenablement dégagée. J’espère que vous approuverez ce petit changement.
Veuillez prêter grande attention à toutes les solutions que je vous demande, tout en agréant mes salutations cordiales.
Antoine d'Abbadie
Bibliographie
- DELPECH V., Le château d'Abbadia à Hendaye: le monument idéal d'Antoine d'Abbadie, 3 volumes, thèse de doctorat d'Histoire de l'art, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2012.