Dessin d'exécution du secrétaire de la chambre de la Tour

Après la phase de gros oeuvre, effectuée jusqu'en 1868, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc délégua la conception des décors et du mobilier du château d'Abbadia à celui qui en avait assuré le suivi de chantier, son collaborateur Edmond Duthoit. 

En avril 1869, l'architecte amiénois propose le présent dessin d'exécution, réalisé à une échelle de 1/10 et destiné à servir de base indicative de travail pour l'artisan ébéniste de l'entreprise berlinoise Renaissance. Il s'agit plus précisément du secrétaire de la chambre de la Tour, qui sera exécuté en bois fruitier puis teinté en noir, selon un usage répandu du Second Empire. 

La planche se compose de deux dessins, l'un figurant le profil du meuble - ou élévation latérale -, l'autre son élévation principale. Sur cette dernière, l'architecte a pris soin de laisser le rangement en haut à droite dénué de porte de sorte que l'intérieur du meuble, composé d'une étagère, soit visible pour l'artisan et le commanditaire. Au moment de l'exécution, quelques améliorations ont été apportées au couronnement global du meuble, avec, tout d'abord, l'ajout de fleurons de part et d'autre de la structure, ce qui confère à la silhouette d'ensemble un caractère plus noble. Les battants des portes latérales de la partie haute ont également été modifiés, puisque les motifs à parchemins pliés ont finalement laissé place à des formes à ogives faisant écho aux ornements de l'armoire de la chambre. Ces détails assimilent, dès lors, l'esthétique du secrétaire au style plus tardif du gothique flamboyant.

La partie centrale du secrétaire est, en outre, dominée par une inscription sculptée en lettres gothiques, qui, au moment de l'exécution, sera oubliée par l'artisan. Elle était censée clamer : "Quand tu écris, regarde dans ton coeur", phrase qui se rapporte délibérément à la fonction intellectuelle du meuble. 

D'un point de vue stylistique, Duthoit a opté pour l'inspiration du gothique flamboyant, forme décorative médiévale la plus tardive et la plus aboutie, optant ainsi pour la cohérence du mobilier principal de cette chambre. Le dessin du secrétaire montre, de plus, que l'architecte applique les principes rationalistes enseignés par Viollet-le-Duc, avec la fonctionnalité et la lisibilité de la structure, entre autres. L'esprit éclectique si emblématique d'Abbadia sera renforcé, dans cette pièce, par des collections orientales, qui ne furent pas créées par Duthoit, mais conseillées par lui et acquises dans les magasins de curiosités. Ce secrétaire doit donc être perçu comme un élément d'un ensemble qui trouve sa cohérence dans l'association d'une base stylistique spécifique et la vogue de l'éclectisme décoratif.