Edmond Duthoit, itinéraire d'un architecte éclectique
Cependant, au début des années 1860, Viollet-le-Duc, privilégiant la pratique à la formation empirique, engagea Duthoit à parfaire sa formation par des voyages en Orient. A ce moment, le "maître" imaginait, sans se tromper, que son disciple étudierait les monuments antiques, conformément aux objets de la culture académique. Mais, s'il ne dérogea pas à la règle, ces missions suscitèrent chez Duthoit une véritable passion pour l'architecture orientale médiévale et moderne, autrement dit celle de tradition islamique. Ainsi, louant notamment ses qualités de dessinateur, Viollet-le-Duc le recommanda-t-il pour accompagner la mission archéologique du comte Melchior de Vogüé et de Waddington, fomentée par Ernest Renan en 1861, vers la Syrie, le Liban et la Palestine. Il y effectua de prolifiques relevés d'architecture, notamment ceux des fortifications salomoniennes de Jérusalem. Ses dessins firent d'ailleurs l'objet de deux cents planches pour l'ouvrage édité par de Vogüé à propos de ce voyage. Dans la continuité de cette expédition, sa seconde mission le conduisit, quatre ans plus tard, à Chypre afin d'enlever l'imposant vase d'Amathonte pour le musée du Louvre dans des conditions, somme toute, romanesques.
Mais depuis le retour de sa première mission, Duthoit travaillait surtout à l'agence de Viollet-le-Duc, qui le surnommait tantôt "son fidèle lieutenant", tantôt son "aide de camp", car il avait parfaitement épousé sa cause et ses enseignements. Dès 1860, il s'était vu associé à la restauration du château de Chamousset, puis, en 1864, il se vit confier le suivi des chantiers d'Abbadia et de Roquetaillade. Point commun de ces trois édifices, Duthoit en assuma la fin de chantier en lieu et place de son mentor dans les années 1870. Parallèlement à cette activité sous l'égide de Viollet-le-Duc, sa nomination en tant qu'architecte de la commission des Monuments Historiques pour les départements de la Somme et de l'Oise, en 1866, vint enrichir ses travaux par de nombreuses restaurations d'édifices diocésains, la cathédrale de Senlis en tête.
La guerre de 1870 entraîna la dissolution de l'agence parisienne de Viollet-le-Duc, ce qui, ajouté à la demande pressante de sa famille, conduisit Duthoit à s'installer dans sa ville d'origine, Amiens, où il fut d'ailleurs immobilisé par l'armée allemande durant le conflit international. Là, il commença à être sollicité plus fréquemment pour des commandes privées, souvent localisées en Picardie ou dans le Nord, consistant en restaurations et constructions d'édifices et de monuments commémoratifs. Ses oeuvres d'alors montrent son exceptionnelle capacité à s'adapter aux attentes de ses commanditaires en produisant des réalisations de tous styles, à commencer par le néogothique, mais aussi l'esthétique académique des styles Louis XIII et néoclassique, ce qu'illustre notamment ses interventions au château de Tilloloy (Somme) ou à l'église Souverain-Moulin (Pas-de-Calais).
Fort de son goût pour l'Orient, Duthoit fut nommé architecte de la commission des Monuments Historiques pour le territoire de l'Algérie en 1872, puis en fut désigné le chef de service en 1880. Ses fonctions le menèrent également à établir, aux côtés de Boeswillwald, devenu Inspecteur général des Monuments Historiques, un état des lieux du patrimoine tunisien au moment de la conquête française en 1880. Déjà imprégné de l'architecture méditerranéenne dans sa diversité géographique et historique, il assimila d'autant plus ce qu'il étudia et restaura en Afrique du Nord. Alors que, très tôt dans sa carrière, son oeuvre se teintait de l'influence de ses voyages et de son intérêt pour l'Orient, elle fit désormais l'objet d'un véritable métissage artistique où se mêlent les principes rationalistes gothiques et orientaux en termes de décoration autant que de structure architecturale.
L'apogée de cet éclectisme "raisonné", selon l'expression de B. Foucart au sujet de Viollet-le-Duc, s'exprime à travers son chef d'oeuvre, la somptueuse basilique Notre-Dame de Brebières, qu'il édifia à Albert, dans la Somme, à partir de 1883. Il consacra les dernières années de sa vie à ce projet grandiose, en en dessinant un maximum de projets à l'attention de ses successeurs, car il avait conscience du mal incurable qui finalement l'emporta le 10 juin 1889. Regardé comme un architecte et, avant tout, un homme exemplaire, il eut le privilège de funérailles en grandes pompes, réunissant intimes, personnalités et dignitaires picards et nationaux.
Bibliographie
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